Material de Thomas Heise
– 2009, n&b + coul, 2h44, vostfr
Grand Prix de la Compétition internationale au FID Marseille 2009
Film en deux parties avec entracte et Kaffee Kuchen*
« Cela commence par des rires d’enfants. Des images de la fin des années quatre-vingt en RDA à l’année 2008, en Allemagne. Ces images résiduelles sont piégées dans ma tête, se réassemblant constamment pour créer de nouvelles formes qui s’éloignent de plus en plus de leur sens originel et de leur fonction. Elles sont en mouvement. Elles forment une histoire. La matière reste incomplète. Cela consiste en ce à quoi je me suis toujours rattaché, ce qui est toujours resté important pour moi. C’est mon image. » Thomas Heise
Ces images, pour la plupart des rushes non utilisés de films précédents ou de projets interrompus, sont les restes, témoignages fragiles, souvent uniques et d’une valeur inestimable, que Thomas Heise est parvenu à sauver in extremis de la disparition (en raison de l’altération des supports, 35mm, 16mm, video, transferts en VHS), grâce aux maigres subsides débloqués par diverses instances (dont Arte – Allemagne) à l’occasion du vingtième anniversaire de la chute du Mur. Ils sont le matériau (Material) d’un film qui se distingue radicalement de la plupart des documentaires consacrés aux événements qui ont bouleversé l’histoire récente de l’Allemagne.
Le titre l’énonce clairement : le cinéaste se refuse, non pas à organiser (il le fait forcément) mais à subordonner le matériel brut à un discours, celui de l’histoire officielle et consensuelle, dont il ne serait que l’illustration. Car il sait qu’on peut tout faire dire à une image et en a lui même fait l’amère expérience en voyant des plans de son documentaire « Volkspolizei » (1985) utilisés et détournés dans le docu-fiction télévisuel « Damals in der DDR » où ils étaient présentés comme des films de formation destinés aux policiers.
Fidèle au principe qu’il applique dans tous ses films, Heise évite tout commentaire, se contentant de rares citations textuelles et ponctuant son film de rires d’enfants ou de passages de l’élégiaque Orchestral Set. No.2 (1919) de Charles Ives (extrait de Hannover Square North, at the end of a tragic day, the voice of the people again arose). Il laisse aux images et aux sons ainsi respectés dans leur intégrité la charge de réel, souvent explosive, qui les habite et qui ne saurait être réduite à une interprétation univoque.
Ces documents bruts de décoffrage, parfois éprouvants (l’accusation, en plein parlement, d’un député ancien collaborateur de la Stasi et sa défense acharnée), nous sautent à la figure, nous secouent et nous bouleversent. Ils font surgir à l’écran un moment où tout était possible et s’inscrivent violemment en faux contre la manière dont l’histoire a été réécrite, plus tard ou sur le moment, par les médias et par l’idéologie dominante. Claude Rieffel.