autrement, La Molussie de Nicolas Rey

Depuis le temps qu’on entend énormément de bien du dernier film de Nicolas Rey, Mire et Makiz’art ont voulu vous faire profiter de sa venue dans l’ouest pour proposer la projection, forcément unique (*), d’autrement, La Molussie à Pol’n.

C’est prix libre (c’est dire que chacun donne ce qu’il peut, ce qu’il veut, pour soutenir le travail de l’artiste).
La projection sera suivie d’une discussion avec Nicolas Rey,
++ en avant programme, Le Partage des Silences, un film d’Anne-Cécile Paredes et Erell Latimier
+++ avec
un bar sur place et la possibilité d’amener de quoi grignoter pour la soirée.

 

peter lit  autrement la molussie - nicolas rey

autrement, La Molussie

neuf bobines d’après « Die molussische Katakombe » de Günther Anders
un film 16 mm de Nicolas Rey – 1h21 – 2012

Un film en neuf chapitres présentés dans un ordre aléatoire, basés sur des fragments de La catacombe de Molussie, roman allemand écrit entre 1932 et 1936 par Günther « Autrement ». Des prisonniers d’une geôle d’un état fasciste imaginaire, la Molussie, se transmettent des histoires à propos du dehors, comme autant de fables à portée philosophique.

 …

À partir d’un livre qu’il n’a pas pu lire, Nicolas Rey a tourné 4 ans avec de la pellicule 16mm ultrapérimée. Il lui a fallu ensuite plus d’un an pour trouver comment développer ce stock au laboratoire de l’Abominable. Lequel devient expulsable puis expulsé pendant le montage du film qui s’achève en jouant les passe-muraille pour finaliser les dernières coupes, enfermés à l’intérieur du labo comme les prisonniers du roman.

L’histoire du film en dit beaucoup sur le sens de l’intuition et le goût pour le pas de côté de son auteur. Devant les aléas qu’il rencontre, et qu’il cultive, Nicolas Rey fait confiance aux évènements et procède simplement…
Filmer le pays imaginaire décrit par les prisonniers du livre de Günther Anders, en errant à travers des zones plus ou moins urbanisés, en fabriquant des machines pour « rendre l’entreprise plus complexe ». Développer des images râpeuses, atemporelles, issues de films périmés. Enregistrer la lecture du livre en laissant d’autres choisir les passages puis trouver l’assemblage qui créera le frottement souhaité entre l’image et le son… Et c’est de cette manière, en procédant simplement, qu’il rouvre avec force et élégance les possibilités du cinéma.

Depuis 2012, autrement, La Molussie s’est autant fait remarqué aux Etats Généraux du film documentaire de Lussas ou au Cinéma du Réel (où il a reçu le Grand Prix!) qu’au festival de nouveaux medias Medi City (Canada) ou au Forum Expanded de la Berlinale…

(*) « Etant donné qu’il y a 362 880 possibilités d’arranger les 9 bobines, on peut raisonnablement considérer que chaque projection sera une première mondiale. »

 

Le Partage des Silences

un projet [DES ENDROITS] – 2013
un film d’Anne-Cécile Paredes et Erell Latimier
Video (dv, 16mm, photographies) – 20 min

A partir d’une rencontre avec trois femmes ayant participé à des degrés différents au conflit armé qui frappa le Pérou de 1980 à 2000, Le partage des silences travaille, déforme et bouleverse l’anecdote pour donner à voir et à entendre les lieux d’une errance entre fiction et réalité, des micro-histoires de transmission, d’immigration et de guerre.

Il y a des générations qui se croisent et qui se passent la main. Il y a des chemins aux visages oubliés de notre enfance qui nous tiennent tout au long de notre route d’humain. Des passages fantômes, déjà empruntés. Ils épousent nos mémoires enfouies et s’abritent dans les mélodies qui nous habitent inexorablement. Ils chantonnent, tendresse cruelle, ce qui nous échappe encore.

Lorsque la mémoire bavarde avec l’oubli, des enfants se rappellent. Ils logent entre leurs peaux ces chemins de terre venus de l’enfance, ceux qui dessinent le passage des temps. Ils se logent entre. Entre ce qui disparaît et ce qui apparaît, entre les cris et le silence, entre le feu et la cendre. Dans le souffle d’une parole vibrante et vagabonde, sa langue en contrebande, l’enfant « asilé » recompose les signes d’histoires transmises et oubliées.

produit par Chahuts
www.annececileparedes.com/

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poteauporte  autrement la molussie - nicolas rey
AUTREMENT, LA MOLUSSIE
– infos complémentaires –

BIO

NICOLAS REY
Né en France en 1968
Nicolas Rey ne s’appelle pas ainsi en hommage au célèbre cinéaste américain (c’est lui qui avait un pseudo), il n’est même pas le fils du cinéaste expérimental français Georges Rey (inoubliable Vache qui rumine), et n’a rien à voir avec les autres Nicolas Rey de la place de Paris (pour lesquels il reçoit néanmoins beaucoup de courrier). Il persiste à bricoler des films depuis 1993, entre la photographie, le cinéma documentaire et l’expérimental et passe l’essentiel de ses journées à “L’Abominable”, un laboratoire cinématographique d’artistes qu’il a contribué à créer près de Paris en 1995.

NOTE D’INTENTION

colline autrement la molussie - nicolas reysilo  autrement la molussie - nicolas reyvilla  autrement la molussie - nicolas reyJ’ai voulu faire un film à partir d’un roman que je n’avais pas lu. Plus précisément, que je ne pouvais pas lire, puisqu’écrit dans une langue qui m’est étrangère — et jamais traduit. Etrange idée, me direz-vous. C’est une question de confiance. D’intuition, un peu, mais surtout de confiance. Aujourd’hui je peux dire que ne me suis pas trompé, qu’il y a dans La catacombe de Molussie de Günther Anders une profonde actualité.

Sans pouvoir lire « le script », comment procéder ? Simplement. Toujours procéder simplement… J’en connaissais tout de même la trame fictionnelle : des prisonniers, plongés dans l’obscurité d’une geôle d’un état fasciste imaginaire, la Molussie, se transmettent des histoires à propos du dehors, comme autant de fables à portée philosophique. Comment faire ?

Simplement filmer ce pays imaginaire. Pas besoin d’aller bien loin pour cela. Errer avec l’amie Nathalie à travers les paysages plus ou moins urbanisés, plus ou moins industrialisés. S’arrêter ici et là. Il est remarquable qu’en procédant de la sorte, vient un moment où ce qu’il est nécessaire de filmer apparaît nettement sans que qu’un quelconque « projet » n’en ai décidé la nature. Fabriquer quelques machines avec l’ami Christophe pour rendre l’entreprise plus complexe et le résultat moins prévisible. Ne pas omettre de filmer quelques humains dans leur activité la plus courante : le travail. Un pays n’est jamais complètement désert.

L’ami Stefan m’a donné un lot conséquent de films de prises de vues 16 mm ultrapérimé. Il est si difficile d’obtenir avec une image intéressante que je manque d’abandonner de m’en servir au bout d’un an. Je finis par trouver une technique de développement et de tirage approprié. Cette image granuleuse, râpeuse, atemporelle peut parfois se révéler fascinante comme un tableau de Caspar David Friedrich. Je persévère. Sans les possibilités que m’offre un laboratoire cinématographique d’artistes comme L’Abominable, je n’aurais pas pu faire ce film.

Les tournages se succèdent. J’apprends un peu d’allemand. Les mois, bientôt les années passent. Je commence à avoir pas mal d’images et de sons. La Molussie se dessine. Je demande à l’ami Peter s’il veut bien lire le livre pour moi. Avant lui, en 2001 déjà, l’amie Jutta l’avait lu lorsque j’en avais fait acheter un exemplaire en Allemagne, plus plus récemment l’amie Carole qui vit à Berlin.  Le roman a été écrit entre 1932 et 1936 par Günther Stern dit « Anders » (soit en français : « Autrement »), nom de plume pris par accident lors d’une altercation avec le rédacteur en chef du journal où Stern écrivait :

— Nous ne pouvons pas sortir la moitié de nos articles sous la signature de Günther Stern !
— Et bien vous n’avez qu’à m’appeler aussi autrement !

Günther Anders gardera toute sa vie d’écrivain ce pseudonyme marquant à la fois l’anonymat et la différence. Il termine une première version de la Catacombe avant la prise du pouvoir par Hitler, puis confie le manuscrit à l’éditeur de Brecht. Celui-ci, par prudence, l’enveloppe dans un couverture représentant une carte d’Indonésie auquel il ajoute une île du nom de « Molussie » pour faire croire à un récit de voyage. A peine a-t-il terminé que la Gestapo débarque chez lui et saisit tous les manuscrits qui s’y trouvent. Par chance les censeurs tombent dans le panneau et rendent celui de la Catacombe sans l’avoir lu. En mars 1933, peu après l’incendie du Reichstag et son enchaînement fatal de conséquences, Günther Anders et sa femme, Hannah Arendt, quittent l’Allemagne. En exil à Paris, avant de partir aux USA en 1938, Anders complète fiévreusement le livre, qui triple de volume. Il tente de le faire éditer mais ne trouve personne pour le faire. Après la guerre, il considère que l’éditer n’aurait plus de sens et il faudra attendre l’année de la mort d’Anders, 1992, pour que Becks le publie en Allemagne. Aujourd’hui, le livre est épuisé sans qu’il ait été traduit, bien que l’œuvre philosophique et politique d’Anders, postérieure à cet unique roman, circule largement.

L’ami Peter, donc, lit la Catacombe et je lui demande de choisir un certain nombre de chapitres qui lui semblent intéressants pour le film. Peter me connaît bien, il a traduit mon film précédent, Schuss ! en allemand. Confiance. Il m’envoie sa sélection. J’y ajoute un certain nombre de chapitres dont le titre m’attire. Avec l’amie Nathalie, nous déchiffrons tout cela et le traduisons grossièrement pour que je puisse m’y retrouver. Peter vient à Paris, et après discussion avec lui je réduis un peu la sélection et on enregistre la lecture des chapitres gardés.

Je peux m’attaquer au montage. Mais comment faire ? Simplement… J’associe les textes lus avec des ambiances sonores. Je privilégie les sons enregistrés dans la durée, qui se développent dans le temps de manière quasi musicale. Complètement indépendamment, je fabrique des suites d’images. Des trajets hypothétiques à travers le pays imaginaire. Les ébauches se constituent peu à peu.

Vient le moment de les faire rencontrer les pistes sonores. De curieuses associations naissent. Il faut que le son et l’image frottent, sans se tuer. Curieusement, il n’y a pas tant de possibilités. Peu à peu, le nombre de parties et ce qui les constitue se fixe. Dès le départ, j’avais pensé que chaque partie pourrait trouver une place quelconque dans le film. Cette contrainte d’un ordonnancement aléatoire rend l’exercice du montage assez particulier.  Peu à peu, il apparaît qu’un seul fragment de texte peuplera  chaque partie du film. Un parcours visuel, une ambiance sonore, un texte : comme un classicisme improbable. Et il confirme qu’« autrement » sera le titre du film, associé au nom de cet étrange pays.

Il faut tout de même ajuster, déplacer, inverser, raccourcir ici et laisser de la durée là. Mais sans trop contraindre pour ne pas trahir le bonheur d’un son et d’une image simplement posés ensemble, sans préméditation, dans le temps. Et laisser reposer l’ensemble, avant, périodiquement, de se remettre à l’écoute du film.

Pendant ce temps, L’Abominable devient expulsable, la procédure avance puis s’accélère, il faut déménager le labo. On ne garde sur place que la table de montage 16 mm pour le dernier mois d’août, que je puisse terminer le film. On est finalement expulsés par surprise dans un ultime rebondissement et le film est fait prisonnier. Il faut jouer les passe-murailles pour finaliser les dernières coupes, enfermés à l’intérieur du labo comme les prisonniers du roman, à l’endroit même où j’ai filmé Peter qui les figure.

Nicolas Rey
Septembre 2011

A propos de Günther Anders :
• Die molussische Katakombe, C.H.Beck, 1992 puis 2012 pour la seconde édition.
• « Si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ? »
Traduction d’un entretien de 1977 publié aux Editions Allia en 2001.
http://www.history.ucsb.edu/faculty/marcuse/anders.htm#biog

A propos de L’Abominable :
http://www.l-abominable.org

Des laboratories cinématographiques d’artistes :
http://www.filmlabs.org